Les carnets pédago

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Repenser l’évaluation : et si on arrêtait de la voir comme une sanction ?

J’ai souvent vu des enseignants se questionner sur leurs pratiques d’évaluation… et des étudiants stressés attendre dans les couloirs, juste avant leur examen de semestre. Soyons honnêtes : pour beaucoup d’étudiants, l’évaluation, c’est le moment de vérité. Stress, notes qui tombent comme un couperet, et ce fameux verdict en rouge au bas de la copie. Mais est-ce vraiment cela, le rôle de l’évaluation ? Et si l’évaluation pouvait devenir tout l’inverse : un outil de motivation, de progression, et même de collaboration entre enseignants et étudiants ? Plutôt que de punir ou de classer, pourquoi ne pas chercher à encourager, impliquer et faire grandir ?
La psychologie nous éclaire sur ce point. Selon Deci et Ryan, avec leur théorie de l’autodétermination, la motivation repose sur trois besoins essentiels :
  • Autonomie : pouvoir faire des choix, ne pas subir.
  • Compétence : sentir qu’on progresse grâce à des retours clairs.
  • Reconnaissance : savoir que ses efforts sont valorisés.
L’évaluation peut nourrir ces besoins… ou les étouffer. Bien pensée, elle donne du sens, encourage et valorise. Mal conçue, elle réduit l’étudiant à un chiffre et démotive. Elle influence bien plus que la réussite scolaire : elle conditionne aussi le rapport de l’étudiant à la matière, et parfois même à ses propres capacités.
 
Dans cet article, je vous propose des pistes concrètes et des réflexions pour repenser et enrichir vos pratiques d’évaluation.
 

L’évaluation continue : apprendre en marchant

Pourquoi attendre la fin du semestre pour savoir si on a compris ?  L’évaluation continue permet de vérifier au fur et à mesure, avec des retours rapides.
  • Des quiz interactifs qui donnent un feedback immédiat.
  • Des auto-évaluations ou des évaluations entre pairs qui développent l’esprit critique.
  • Des commentaires personnalisés qui montrent ce qui est réussi et ce qui reste à améliorer.
 
Quand j’enseignais, j’ai toujours été partisane d’une évaluation progressive et continue tout au long du semestre. Concrètement, je combinais plusieurs livrables (travaux à rendre) qui alimentaient une note de participation, en complément d’un partiel à mi-parcours et d’un examen final. Ce type d’approche rassurait les étudiants : ils pouvaient avancer à leur rythme, faire des choix et s’impliquer différemment selon leurs préférences — ce qui renforçait leur motivation.
Bref, au lieu d’un seul gros examen final, on avance par petits pas. Résultat ? Moins de stress, plus d’apprentissage.

Quelques exemples inspirants

Louvain : donner le choix aux étudiants
À l’Université de Louvain, les enseignants ont repensé les modalités d’évaluation pour les cours jugés complexes ou identifiés comme présentant des fragilités pour les étudiants. L’évaluation y repose désormais sur le choix et l’initiative des apprenants.
En complément des méthodes classiques (contrôle écrit ou étude de cas, notés sur 8 points), les étudiants ont la possibilité de s’engager dans une activité optionnelle, à réaliser tout au long du semestre. L’objectif : leur offrir un espace d’approfondissement personnel et d’ouverture, en lien avec le cours, mais selon une démarche beaucoup plus libre et responsabilisante.
Concrètement, les étudiants pouvaient, par exemple :
  • Lire et analyser un ouvrage,
  • Participer à un atelier collaboratif comme la Fresque,
  • Assister à une conférence,
  • Proposer eux-mêmes une activité originale  en lien avec le cours.
Chaque activité faisait ensuite l’objet d’une courte défense orale : l’étudiant expliquait ce qu’il avait retenu, en quoi cela enrichissait sa compréhension du sujet, et surtout comment il pouvait réemployer les compétences acquises dans d’autres contextes.
 
Ce type d’évaluation repose sur une conviction simple : plus les attentes vis-à-vis des étudiants sont élevées, plus ils sont incités à progresser. En leur proposant d’aller au-delà des méthodes classiques, l’évaluation devient un véritable tremplin vers l’autonomie et la créativité.
 
Résultat : plus d’engagement, plus de sens et surtout, une évaluation qui ressemble chaque étudiant !
 
Projet SMILE (Stanford Mobile Inquiry-Based Learning Environment)
SMILE transforme la salle de classe en un espace d’exploration où les étudiants deviennent activement créateurs de savoir. Grâce à une application mobile, chacun peut générer des questions — ouvertes ou QCM — à partir de ce qu’il observe ou comprend, puis les partager, les noter et les enrichir avec des médias (images, vidéos…). Le véritable indicateur de réussite n’est plus la note, mais la qualité des questions produites. Ce dispositif favorise l’esprit critique, l’autonomie et l’engagement : l’enseignant prend aussi le rôle de facilitateur, et le feedback peer-to-peer stimule la réflexion en temps réel. 
 

Projet REAP

Le projet REAP, mené dans plusieurs universités écossaises, invite à repenser l’évaluation institutionnelle en la recentrant sur le développement des compétences d’autoévaluation et de régulation chez les étudiants. Plutôt que de se limiter à transmettre des notes, il s’agit d’intégrer tutorat, évaluation entre pairs et auto-évaluation, encouragés par les technologies modernes (e‑portfolio, simulations, systèmes de réponse instantanée…). Le feedback est au cœur du processus. Et les retours sont très positifs :
  • Les étudiants rapportent une meilleure compréhension de leurs acquis et de leurs progrès.
  • Ils se sentent plus autonomes, capables de s’auto-réguler et de s’orienter dans leurs apprentissages.
  • Les enseignants notent une satisfaction étudiante accrue et un usage du temps plus efficace grâce aux feedbacks partagés et aux outils numériques.
Bref, preuve à l’appui : l’implication des étudiants augmente quand on leur donne des feedbacks réguliers et un rôle actif dans l’évaluation.
 
Dossiers, travail de groupe – classique, mais intemporel 🙂

Dans ma pratique, j’ai souvent opté pour un mode d’évaluation basé sur le travail par dossier, mené en groupe, afin de favoriser à la fois la collaboration et le développement progressif des compétences. Chaque groupe d’étudiants devait travailler sur un thème, choisi librement parmi une liste proposée, ou issu de leur propre initiative. Cette liberté de choix ouvrait la porte à des projets originaux et à une forte implication personnelle — certains sujets proposés spontanément étaient d’ailleurs très pertinents et révélateurs de l’intérêt des étudiants.

Le travail écrit était élaboré collectivement par le groupe, ce qui renforçait les dynamiques d’entraide et de coopération. En revanche, la présentation orale du dossier faisait l’objet d’une évaluation individuelle, permettant de valoriser l’investissement personnel de chacun et de vérifier la bonne maîtrise du sujet par tous les membres.

L’ensemble du processus d’évaluation reposait sur une grille critériée, partagée dès le début du projet. Les critères y étaient clairement définis : qualité du contenu, rigueur de la structuration, clarté de l’expression, pertinence de l’argumentation, engagement individuel… Grâce à cette grille, les étudiants savaient précisément ce qui était attendu à chaque étape. Elle servait aussi de support aux feedbacks intermédiaires, garantissant un accompagnement formateur tout au long du semestre.

Cette méthode, structurée mais ouverte, a favorisé une meilleure implication des étudiants et un meilleur ancrage des apprentissages, tout en permettant une évaluation plus juste et plus représentative de leurs compétences réelles.

 

Quand l’évaluation devient une affaire collective

Deux initiatives montrent qu’impliquer directement les étudiants dans la réflexion pédagogique transforme en profondeur la manière d’aborder l’évaluation.
 
À Nantes, un bootcamp intensif de deux jours a réuni enseignants et étudiants hors des murs de l’université. Objectif : mettre cartes sur table, identifier les frustrations, et co-construire des solutions concrètes. Inspirée du design thinking, l’approche a favorisé le travail collaboratif et la créativité. Les étudiants ont proposé, par exemple, des évaluations formatives avec feedback, la création de questions pour les promotions suivantes ou encore un système de “médailles” pour valoriser les initiatives extra-cours. Résultat : un véritable plan d’action pédagogique a été établi.
 
 À Bruxelles, le projet Teachers Whisperers s’inscrit dans une démarche plus longue : des étudiants intégrés dans les équipes pédagogiques pendant toute une année. Sélectionnés et formés, ils jouent différents rôles – consultants, co-développeurs ou encore co-chercheurs – pour analyser les cours, proposer des ajustements et nourrir la réflexion collective. Ici, l’objectif est clair : réduire l’écart entre les intentions pédagogiques et la réalité vécue par les étudiants, et créer une culture d’amélioration continue fondée sur des données tangibles.
 
 En résumé : le format change (intensif et ponctuel à Nantes, continu et structuré à Bruxelles), mais l’idée est la même : l’évaluation gagne en pertinence et en légitimité quand les étudiants deviennent acteurs, et non simples sujets d’un dispositif pensé pour eux sans eux.

Conclusion

Alors, sanction ou tremplin ? L’évaluation n’est pas condamnée à rester un cauchemar étudiant. Elle peut être motivation, progression, collaboration.
Trois clés ressortent :
  1. Le feedback continu – apprendre au fur et à mesure.
  2. Le choix – impliquer les étudiants dans la façon dont ils sont évalués.
  3. La co-construction – faire de l’évaluation une affaire collective.
 
Bref, repenser l’évaluation, c’est redonner à l’apprentissage tout son sens.
 
Et vous, si vous pouviez changer une chose dans vos évaluations, ce serait quoi ? Partagez vos idées dans les commentaires ! 🙂

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